De 1848 à 1984, date d’un « nouveau concordat », le catholicisme fut la seule religion de l’Etat italien. Suivant, dans un premier temps, une logique de laïcisation, l’Italie n’a, en fait, jamais remis en cause le rôle de la religion. La faiblesse de l’Etat italien n’a pas permis de rompre avec la reconnaissance de l’Eglise catholique qui, malgré sa compromission avec le fascisme, a maintenu son crédit auprès de la population. Le catholicisme reste la religion d’une large majorité des italiens ce qui confère à l’Eglise une puissance qui ne rencontre que peu d’oppositions. La constitution de 1948 a supprimé la qualité de fonctionnaire aux membres du clergé et a laïcisé le système de santé mais l’Etat italien finance les écoles religieuses et conserve l’enseignement religieux dans les écoles publiques.
Le blasphème en Italie a connu une évolution à la fois dans la législation pénale et auprès du public. La succession des régimes a apporté plus ou moins de force aux valeurs et principes de l’Eglise catholique. Rappelons que l’Empire romain est le premier pouvoir politique à adopter officiellement la religion chrétienne. La plupart des Etats de droit divin composant la future Italie se sont dotés de législations réprimants le blasphème. C’est le cas, par exemple, du royaume de Sardaigne qui définissait la religion catholique comme « la religion unique de l’Etat » et prévoyait de lourdes peines pour injure et offense au culte reconnu par l’Etat.
Peu à peu, des principes plus libéraux vont prévaloir. Mais l’avènement du fascisme change radicalement les rapports entre l’Etat et l’Eglise. Le nouveau code pénal fasciste rétabli le délit de blasphème et quelques autres délits contre la religion.
Code pénal italien : Titre IV – Des délits contre le sentiment religieux et contre le respect des morts, Chapitre premier – Des délits contre la religion de l’Etat et les cultes admis
« Art. 403. – Offense à la religion de l’Etat par dénigrement de personnes. – Quiconque offense publiquement la religion de l’Etat, en dénigrant ceux qui la professent, est puni de réclusion jusqu’à deux ans.
On applique la réclusion de un an à trois ans à qui offense la religion de l’Etat par un outrage à un prêtre catholique. »
« Art. 404. – Offense à la religion de l’Etat par dénigrement de choses. – Quiconque, dans un lieu destiné au culte, ou dans un lieu public ou ouvert au public, offense la religion de l’Etat, en dénigrant les objets du culte, ou consacrés au culte, ou nécessairement destinés à l’exercice du culte, est puni de réclusion d’un à trois ans.
La même peine s’applique à qui commet les faits à l’occasion de fonctions religieuses exercées en un lieu privé par un ministre du culte catholique. »
« Art. 406. – Délits contre les cultes admis par l’Etat. – Quiconque commet l’un des faits prévus aux articles 403, 404 et 405 contre un culte admis par l’Etat, est puni suivant les dispositions desdits articles, mais la peine est diminuée. »
Chapitre II – Des contraventions concernant la police administrative sociale
« Art. 724. – Blasphème et manifestations outrageantes envers les morts. – Quiconque blasphème publiquement, par invectives ou paroles outrageantes contre la Divinité ou les symboles ou les personnes vénérés dans la religion de l’Etat, est puni d’une amende de police de 100 à 3000 lires.
Encourt la même peine celui qui se livre à toute manifestation publique outrageante envers les morts. »
Edicté par le ministre Rocco, ce code institut le « sentiment religieux » comme patrimoine idéologique. Il ne s’agit plus de défendre le principe de la liberté de culte mais d’inscrire un ordre religieux dans les règles de la société. La jurisprudence italienne, pendant la période fasciste, répond ainsi à une volonté politique et ecclésiastique. Malgré la nouvelle constitution italienne, le code Rocco est encore en vigueur aujourd’hui.
Jusque dans les années 70, une interprétation restrictive et inflexible persistera dans la jurisprudence. Le « sentiment catholique » du peuple italien sera bien défendu y compris par la Cour constitutionnelles qui confirma plusieurs jugements en matière de blasphème. Pour la première fois en 1964, avec l’acquittement de Pier Paolo Pasolini (poursuivi pour une scène du film L’Evangile selon Saint Mathieu), une nouvelle jurisprudence voit le jour. L’Italie de la fin des années 60 est plus tolérante avec les délits de blasphème et d’outrage. A partir de 1970, la loi sur le divorce fait évoluer les mentalités et plusieurs initiatives référendaires tentent d’abolir les délits d’opinion sans succès. La suppression du concept de « religion d’Etat » marque, en 1984, un nouveau progrès à l’occasion de la révision du concordat entre l’Etat italien et l’Eglise. L’accord déclare que « Le principe, invoqué par les accords du Latran, et qui fait de la religion catholique la seule religion de l’Etat italien, n’est plus d’application » (loi d’exécution du 25 mars 1985, n° 121). De même, le délit de Dénigrement de la religion de l’Etat, qui était un instrument de répression, y compris des cultes non catholiques (surtout protestants) a été abrogé en 2000. A l’égard du blasphème, deux phénomènes sont observables aujourd’hui : d’une part une moindre réaction de la société et d’autre part, une diminution des comportements blasphématoires dans les lieux publics. Cette diminution de l’intolérance rend d’autant plus anachronique la survivance des articles du code pénal fasciste, lequel se trouve en contradiction avec le nouveau concordat signé entre l’Etat et l’Eglise. Car la non application des lois ne signifie pas la suppression de la règle. De nouvelles intolérances apparaissent : ce sont les religions non majoritaires qui revendiquent le plus fort aujourd’hui le droit à une protection contre le blasphème. Les thèses de l’extrême droite qui jouent sur les haines et les peurs ont ranimé la tentation de la censure. La violence des attaques contre des juifs ou des musulmans fait courir un danger à la démocratie qui peut être tentée par le repli et la communautarisation de la société.
Un procès en 1998 contre le film Toto vécut deux fois de Daniele Cipri et Franco Maresco a débouché sur sa mise à l’index pour blasphème. Il a été jugé que « le film Toto qui vécut deux fois a bafoué la Constitution italienne car ces deux réalisateurs n’ont eu aucun respect pour la dignité du peuple sicilien, de l’Italie tout entière mais aussi de l’humanité ». Le film violait l’article 402 du code pénal encore en vigueur à cette date. « Art. 402. – Outrage à la religion de l’Etat. – Quiconque outrage publiquement la religion de l’Etat est puni d’une peine de réclusion d’un an au maximum. »
En 2002, la Conférence Episcopale Italienne a contesté la présence au Festival de Cannes du film de Marco Bellocchio, Le sourire de ma mère. L’auteur y dénonce le pouvoir oppressant du clergé sur les femmes et la manipulation des masses. La diffusion du film en Italie fut limitée à un public de plus de 14 ans en raison de propos blasphémateurs.
Toujours en 2002, sur plainte du Vatican, l’épiscopat italien a obtenu l’interdiction de cinq sites sous prétexte d’outrage à la religion. Ceux-ci associaient des images érotiques à l’imagerie catholique telle que la vierge Marie.