Répressif

Allemagne

Une loi contre le sacrilège et le blasphème existe depuis 1861 et est toujours en vigueur aujourd’hui en Allemagne.

Code pénal allemand : Section XI – Des délits relatifs à la religion

« Art. 166. – 1) Toute personne qui, publiquement ou par diffusion d’écrits, insulte le contenu des convictions religieuses ou philosophiques d’autres personnes, et ce d’une manière apte à troubler la paix publique, sera punie d’emprisonnement jusqu’à trois ans ou d’une amende.

2) Sera punie de même, toute personne qui publiquement ou par diffusion d’écrits insulte une Eglise existant dans le pays ou toute autre communauté religieuse ou association philosophique, ses institutions ou ses coutumes, d’une manière apte à troubler la paix publique »

L’origine de cette disposition pénale vient d’un édit de l’empereur Constantin qui instaura la religion catholique comme religion d’Etat en 313. Mais la situation de biconfessionnalisme (protestants – catholiques) va provoquer des discriminations envers les organisations et les populations catholiques jusqu’en 1914. Après la première guerre mondiale, une politique anticléricale ouvre une période de lutte entre l’Etat et les Eglises. Les autodafés nazis des années 30 vont renverser les hostilités. Poètes et penseurs, tels que Bertolt Brecht (il écrira en 1938 Mère Courage et ses enfants), en ont été les premières victimes. Enfin, la Loi fondamentale de 1949, reprenant les dispositions de la Constitution de Weimar sur la « neutralité de l’Etat », déclare que « Il n’existe pas d’Eglise d’Etat ». Les relations entre les églises et l’Etat sont fondées, en Allemagne, sur un statut de semi-laïcité proche de la séparation. Il n’existe, dans les textes, ni religion d’Etat, ni Eglise nationale. De fait, tout favorise pourtant, dans les Länder, les deux grandes confessions chrétiennes c’est-à-dire l’Eglise protestante et l’Eglise catholique. Il faut préciser que l’Allemagne est constituée de Länder, chacun d’eux ayant sa propre politique vis-à-vis de la laïcité. Des chaires d’universités sont encore réservées à l’Eglise (Concordat de 1933). L’Etat subventionne les institutions sociales de l’Eglise selon le principe de primauté. Multiconfessionnelle, l’Allemagne autorise les Eglises à lever un impôt ecclésiastique : elles ont un statut de corporations de droit public ce qui leur permet de percevoir l’impôt religieux. L’enseignement de la religion est obligatoire dans les écoles : l’instruction religieuse est « une matière d’enseignement ordinaire », les églises ayant un rôle d’éducation reconnu. Mais, en fait, l’influence des souverainetés ecclésiastiques sur la société allemande est de moins en moins manifeste. Le Land de Brandebourg a supprimé le caractère obligatoire de cet enseignement religieux en 1996. De même, la Cour suprême (tribunal Constitutionnel) a déclaré contraire à la constitution la présence des crucifix dans les établissements publics (Arrêt du 10.08.1995). Quand aux pratiques sociales, elles révèlent une désaffiliation religieuse nette dans les familles.

La loi antiblasphème marque pourtant la place prégnante du phénomène religieux dans le domaine du droit. Comme le montre les raisons invoquées dans la décision du Tribunal de grande instance de fribourg (affaire pénale, en date du 3 juin 1985, contre Gottfried Karl Niemietz en outrages des confessions), il n’est pas nécessaire qu’il y est trouble de l’ordre public. « Un risque concret d’un dérangement bouleversant la paix religieuse » suffit lorsque l’une des deux situations suivantes se présente : « 1. quand une grande partie de la population a le sentiment d’être inquiétée dans son droit à l’exercice non troublé de sa religion par des manifestations inqualifiables contre leur confession ; 2. quand l’illustration est propre à susciter le danger de l’intolérance chez de tierces personnes ». L’objet du « délit », dans ce cas, est une illustration (faisant partie d’un tract distribué au public) que le tribunal qualifiera de caricature ne devant pas être considérée comme une œuvre d’art : Dieu y est représenté comme un « hippie » des années 60, une marionnette qu’un prêtre en soutane manipule. Les juges soulignent que « si le but de ce tract avait seulement été l’information du public », sa diffusion n’aurait pas constitué une faute. L’insulte étant jugée intentionnelle, Gottfried Niemietz est inculpé pour blasphème : contre exemple même de la prétendue liberté d’expression, socle, en principe, de la démocratie.

C’est dans les années 70 et 80 que l’atteinte aux droits d’expression sera renforcée dans le domaine de la critique de l’Eglise et de la religion : paroles, écrits ou images blasphématoires seront poursuivis. Dans le cas de Gottfried Karl Niemietz, il fallut l’intervention d’Amnesty International et de multiples protestations internationales pour qu’il soit innocenté. Il n’est pas toujours possible de provoquer de telles mobilisations et peu à peu une certaine résignation s’installe : on n’ose plus exprimer individuellement son opinion. Ainsi, les conditions démocratiques de l’Allemagne en matière de liberté d’opinion étaient largement déficientes dans cette période. On constate peu de procès dans la période des années 90 même si l’article 166 du code pénal est toujours en vigueur.

L’élection du cardinal Joseph Ratzinger à la tête du Vatican semble avoir changé quelque peu le climat d’apaisement qui s’était peu à peu mis en place en Allemagne. En effet, pour Benoît XVI, l’Europe doit retrouver son âme selon les convictions qu’il exprimait dans un ouvrage peut avant son élection sous le titre Valeurs pour un temps de crise. L’une des valeurs qu’il convient de défendre à ses yeux est le respect du sacré face à une liberté d’opinion jugé trop permissive : « Or la liberté d’opinion trouve sa limite en ce qu’elle ne doit pas attenter à l’honneur et la dignité d’autrui, ce n’est pas la liberté de mentir ou de détruire les droits de l’homme ». Par ailleurs, les propos du Pape lors de sa conférence à l’université de Ratisbonne le 12 septembre 2006 ont choqué bon nombre de musulmans. En reprenant des paroles de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue condamnant la « guerre sainte » islamique et affirmant que Mahomet n’a apporté que du « mauvais » et de l’ « inhumain », Benoît XVI a semblé valider l’idée d’une religion violente. Les représentants de l’islam ont immédiatement hurlé au blasphème face à cet amalgame. Qu’ils soient volontaires ou simplement maladroits, ces propos vont malheureusement dans le sens d’une tension inter religieuse montante. De ce point de vue, le climat général s’est incontestablement dégradé. Le cardinal de Cologne, Joachim Meisner, en préparation des Journées mondiales de la jeunesse, reproche aux médias du service public leurs « fréquents blasphèmes » et annonce une nouvelle évangélisation de l’Europe (Courrier International, n° 770, 771, 772 du 4 août 2005). Selon le journal L’Humanité du 21 août 2006, l’évêque protestant allemand de Hanovre aurait appelé à boycotter la tournée de Madonna. La chanteuse se faisait crucifier sur scène et portait une couronne d’épines sur son front. Une plainte fut déposée au parquet de Düsseldorf qui eut en charge de déterminer si la star avait enfreint la loi…