Tolérant

Danemark

Au Danemark, « l’Eglise évangélique luthérienne est l’Eglise nationale (Folkekirke) danoise et jouit comme telle du soutien de l’Etat » (art. 4 de la Constitution). S’il y a bien continuité du système avec le passage de l’Eglise d’Etat à la religion nationale, la transformation de la société et de l’Eglise va œuvrer à une sécularisation. Au sein de l’Etat, l’Eglise fragmente ses services et se spécialise. Une telle évolution relève d’une conception de l’Eglise luthérienne comme l’un des services publics de l’Etat.

Code pénal danois : Chapitre XV – Crimes et délits contre la paix et l’ordre public

« Art. 140. – Celui qui publiquement tourne en ridicule ou insulte les dogmes ou le culte d’une communauté religieuse légalement reconnue au Danemark, est passible de détention simple, ou, en cas de circonstances atténuantes, d’une amende. Les poursuites n’ont lieu que sur l’ordre du Procureur Général. »

Le Danemark punit ainsi de réclusion toute moquerie publique d’une religion. Cependant, l’article 140 du code pénal de 1866 n’est, en fait, plus appliqué.

Le 30 septembre 2005, le quotidien conservateur danois Jyllands-Posten publie des caricatures de Mahomet dans ses pages culture sous le titre « Les visages de Mahomet ». L’une le montre ricanant avec un turban en forme de bombe, une autre avec le Prophète sur un nuage à l’entrée du paradis lançant à des auteurs d’attentats-suicides : « arrêtez, arrêtez, nous n’avons plus de vierges ! ». Il aura suffit de douze dessins pour déclencher les réactions extrêmement agressives de certains musulmans au Danemark et dans le monde, réactions plus ou moins spontanées, plus ou moins politisées. A l’intérieur du pays, la crise internationale déclenchée par la publication des caricatures du Prophète est une bénédiction pour les populistes et les islamophobes. La critique de l’islam devient très populaire. En témoigne le succès d’un ouvrage paru un an après la publication des caricatures du prophète et intitulé Islamistes et naïvistes de Karen Jespersen et Ralf Pittelkow. Les auteurs dépeignent l’idéologie islamique comme « une idéologie totalitaire, mortellement dangereuse » et la compare au nazisme et au communisme. Ils fustigent l’attitude conciliante des journalistes, des écrivains, des universitaires ou des chefs d’entreprise, les « naïvistes », accusés de minimiser la menace islamiste.

30 septembre 2005 : Publication des caricatures dans le quotidien Jyllands-Posten.

14 octobre 2005 : Manifestation rassemblant plusieurs milliers de musulmans à Copenhague.

15 octobre 2005 : Un jeune homme de 17 ans est arrêté après avoir menacé de mort deux des dessinateurs de presse de Jyllands-Posten.

17 octobre 2005 : Un quotidien égyptien, Al Faqr, publie les caricatures sans provoquer de réactions.

5 janvier 2006 : Les chefs de la communauté musulmane danoise réclament des excuses officielles.

10 janvier 2006 : Publication des caricatures dans le magazine norvégien Magazinet.

12 janvier 2006 : Le rédacteur en chef de Magazinet reçoit des menaces de mort.

21 janvier 2006 : L’Union internationale des oulémas musulmans menace de lancer un appel à boycotter les produits et activités danois et norvégiens.

24 janvier 2006 : Le parlement jordanien condamne la publication, appelant au « châtiment de leurs auteurs ».

26 janvier 2006 : Rappel de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite en poste à Copenhague au Danemark « pour consultation ». Les diplomates norvégiens sont conviés au profil bas, le ministre des affaires étrangères les appelant à exprimer leurs regrets dans les pays musulmans. Des responsables religieux de Riyad appellent au boycottage des produits danois. Le conseil de la Choura déclare que « ceux qui publient de tels dessins n’en connaissent pas les conséquences. Ils diffusent la haine et créent de l’animosité entre les communautés et les religions » (Le Monde, 29 janvier 2006).

29 janvier 2006 : Agression de salariés d’une entreprise danoise à La Mecque.

30 janvier 2006 : Un commando armé d’une dizaine d’activistes prétendant appartenir au Fatah manifeste devant les locaux de l’Union Européenne à Gaza. Ils « ont donné quarante-huit heures aux Scandinaves pour quitter l’Etat palestinien ». La menace est prise au sérieux et les premières évacuations ont lieu (Libération, 31 janvier 2006). Le rédacteur en chef du Jyllands-Posten, Carsten Juste, exprime ses regrets dans une lettre ouverte destiné aux médias arabes et diffusé sur le site Internet du journal. Il indique que son journal n’avait jamais eu l’intention de blesser les musulmans tout en continuant de juger « sobres » les dessins parus.

31 janvier 2006 : Fermeture de l’ambassade de Libye à Copenhague. Rappel de l’ambassadeur de Syrie. Alerte à la bombe au siège du Jyllands-Posten.

1er février 2006 : France Soir reproduit les caricatures de Mahomet au nom de la liberté d’expression. Le premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen prend ses distances en déclarant qu’il n’aurait lui-même « jamais choisi de dépeindre des symboles religieux de cette façon » et que « sans goûter l’humour de ces dessins, [il] n’a pu que rappeler la liberté de la presse et l’indépendance des médias ».

3 février 2006 : Manifestation en Grande-Bretagne organisée par Hizb ut-Tahrir, une organisation islamiste.

4 février 2006 : Les ambassades du Danemark et de Norvège sont incendiées à Damas.

5 février 2006 : A Beyrouth, plus milliers de manifestants tentent d’incendier le consulat danois. L’église Saint-Maron est prise sous les jets de pierre. Il y a un mort et une cinquantaine de blessés.

6 février 2006 : Une foule attaque les ambassades du Danemark et d’Autriche à Téhéran. Près de Kaboul, de violentes manifestations font trois morts et plusieurs blessés par balles. On compte aussi un mort en Somalie.

7 février 2006 : Le quotidien iranien Hamshahri lance un concours de caricatures sur l’Holocauste afin de « tester la liberté d’expression ».

8 février 2006 : Charlie Hebdo publie les douze dessins et d’autres caricatures de son cru.

9 février 2006 : Le quotidien Jyllands-Posten fait parvenir à la presse algérienne une lettre d’excuses « aux musulmans du monde entier ».

14 février 2006 : Les manifestations contre les dessins de Mahomet tournent mal au Pakistan. Les violences font deux morts et plusieurs blessés.

10 mars 2006 : L’Institut danois d’études internationales organise à Copenhague une réunion sur « Le dialogue culturel et religieux » rassemblant des érudits du Proche-Orient et du Danemark pour tenter de renouer difficilement le lien.

26 octobre 2006 : Le tribunal de première instance d’Aarhus (Danemark) acquitte les responsables du quotidien Jylland-Posten. Il a estimé que les caricatures n’étaient ni offensantes, ni dégradantes à l’égard des musulmans : « même si le texte accompagnant ces dessins peut être lu comme un appel au mépris et à la dérision, les caricatures n’ont pas de caractère offensant » (Libération, 26 octobre 2006).